Quand avaler devient un défi inattendu
Certains jours, tout semble rouler. On boit un verre d’eau, on savoure une bouchée de pain, et on ne pense pas une seconde à ce geste pourtant si banal : déglutir. Et puis, un jour, ça coince. Pas parce qu’on mange un aliment dur ou parce que la gorge est irritée. Non, c’est autre chose. Une sensation étrange d’étouffement, comme si quelque chose refusait de passer alors que tout semble normal. C’est là qu’un médecin peut évoquer un mot encore méconnu : dysphagie paradoxale.
Ce terme mystérieux cache une réalité plus fréquente qu’on ne le pense, et souvent déconcertante. Aujourd’hui, je vous propose d’explorer ensemble ce trouble de la déglutition un peu particulier, avec douceur et clarté. Parce que comprendre, c’est la première étape pour apaiser ce qui inquiète.
Dysphagie et dysphagie paradoxale : quelle différence ?
La dysphagie désigne toute difficulté à avaler. Cela peut concerner aussi bien les solides que les liquides, à différents stades du processus de déglutition. En revanche, lorsqu’on parle de dysphagie paradoxale, on décrit un phénomène particulier : c’est souvent l’avalement des liquides qui pose le plus de problème… alors que les aliments solides, eux, passent sans souci. Étrange, non ? Et pourtant, ce paradoxe – comme son nom l’indique – est une réalité pour de nombreuses personnes.
Imaginez : vous croquez tranquillement une tartine, tout va bien. Puis, en buvant un simple verre d’eau, vous avez l’impression qu’elle « descend de travers », provoquant toux, gêne, voire une sensation d’étouffement. Rien de visible, pourtant. Rien que les autres pourraient deviner en vous regardant. Voilà tout le défi : ce trouble est souvent invisible, et donc difficile à expliquer – même à ses proches.
Mais pourquoi cela arrive-t-il ?
La déglutition est un processus bien plus complexe qu’il n’y paraît. Elle fait intervenir plus de 30 muscles et plusieurs nerfs. Un vrai ballet harmonieux ! Mais si un seul acteur donne une mauvaise note, tout le spectacle peut être perturbé. Plusieurs causes peuvent expliquer l’apparition d’une dysphagie paradoxale :
- Troubles neurologiques : des pathologies comme la maladie de Parkinson, la sclérose en plaques ou après un AVC peuvent affecter les réflexes et le contrôle musculaire indispensables à la déglutition.
- Traumatismes ou chirurgie : après une opération du cou ou de la tête, ou un traitement comme la radiothérapie (notamment pour les cancers ORL), les muscles et tissus peuvent perdre leur souplesse.
- Reflux gastro-œsophagien (RGO) : l’inflammation provoquée par l’acidité peut irriter l’œsophage, entraînant sensations anormales lors de l’ingestion de liquides.
- Achalasie ou troubles moteurs de l’œsophage : il s’agit de troubles rares mais bien réels, où l’œsophage ne parvient plus à propulser correctement les aliments vers l’estomac.
- Facteurs psychologiques : eh oui, le stress, l’anxiété ou des traumatismes passés peuvent aussi jouer un rôle dans le blocage de la déglutition. Le corps parle, parfois plus fort que les mots.
Une patiente m’a un jour raconté cette impression de « blocage intérieur », comme si sa gorge avait décidé de faire une pause dès qu’elle essayait de boire quelque chose. Pourtant, aux examens, tout semblait en ordre. C’est en travaillant conjointement avec un orthophoniste et une psychologue qu’elle a pu apprivoiser ce symptôme et retrouver une certaine sérénité.
Quels signes doivent alerter ?
La dysphagie paradoxale ne se manifeste pas toujours de façon spectaculaire. Parfois, c’est une gêne subtile, une toux discrète pendant les repas ou une sensation « de quelque chose qui reste coincé ». Mais certains signes méritent une vraie attention :
- Besoin de se racler souvent la gorge en buvant
- Toux inexpliquée lors de l’ingestion de liquides
- Sensation de brûlure ou de poids dans la poitrine après avoir bu
- Régression alimentaire (on évite certains aliments ou boissons)
- Amaigrissement ou fatigue liée à une alimentation inadéquate
Et surtout, écoutez votre intuition. Si quelque chose vous semble « anormal » dans l’acte d’avaler, même si ce n’est pas constant, ne le minimisez pas. Votre ressenti est légitime.
Comment établir le bon diagnostic ?
La première étape reste toujours la consultation médicale. Un médecin traitant pourra orienter selon les cas vers un gastro-entérologue, un ORL ou un neurologue. Les examens peuvent inclure :
- Une vidéofluoroscopie : une radio filmée pendant que vous avalez un liquide contrasté. Elle permet de suivre en temps réel le trajet dans l’œsophage.
- Une fibroscopie œsophagienne : un petit tube équipé d’une caméra est introduit pour observer visuellement l’état des muqueuses internes.
- Manométrie œsophagienne : permet d’évaluer la pression et la coordination des contractions musculaires de l’œsophage.
Ces examens peuvent sembler intimidants, mais rassurez-vous : ils sont généralement indolores et rapides. Plus tôt le diagnostic est posé, plus on évite les complications, notamment les pneumonies d’inhalation, fréquentes quand les liquides « passent de travers » vers les poumons.
Quels sont les traitements et adaptations possibles ?
Il n’existe pas une seule solution universelle à la dysphagie paradoxale, car tout dépend de sa cause. Mais voici quelques pistes thérapeutiques fréquemment proposées :
- Orthophonie : bien au-delà de la parole, les orthophonistes sont formés à traiter les troubles de la déglutition. Ils enseignent des techniques spécifiques pour avaler plus efficacement, sans danger.
- Adaptation de l’alimentation : certaines textures seront à privilégier ou à éviter. Par exemple, les liquides peuvent être épaissis avec des poudres spéciales, afin qu’ils descendent plus lentement et plus sûrement.
- Médication : si un reflux ou une inflammation est en cause, un traitement ciblé pourra être prescrit.
- Psychothérapie : lorsque le trouble est lié à une origine psychosomatique, il peut être libéré progressivement grâce à un accompagnement approprié.
Une lectrice du blog m’écrivait, il y a quelques mois, qu’elle avait toujours eu peur d’avaler depuis une fausse route très jeune. Cette peur s’était réveillée après son traitement contre un lymphome. En travaillant avec un orthophoniste, elle a pu redécouvrir l’acte d’avaler comme une danse lente et apaisée avec son propre corps. « J’ai appris à me faire confiance », m’a-t-elle confié. Et cela, aucun médicament ne peut le prescrire.
Vivre avec la dysphagie paradoxale : astuces du quotidien
Ce trouble, bien qu’agaçant, peut être apprivoisé. Voici quelques conseils simples, mais parfois très efficaces :
- Adoptez une position droite pendant les repas, et restez assis au moins 30 minutes après.
- Buvez lentement, à petites gorgées. Utilisez une paille épaisse si cela aide, ou évitez-la si elle aggrave le symptôme.
- Épaississez les liquides si nécessaire (demandez conseil à votre professionnel de santé pour choisir le bon épaississant).
- Évitez de parler en mangeant ou de rire la bouche pleine (même si, je le sais, certaines conversations à table sont irrésistibles !) 😉
- Partagez votre trouble avec vos proches. Non pour les inquiéter, mais pour qu’ils puissent comprendre d’éventuelles maladresses ou silences aux repas.
Il n’est pas honteux de dire que l’on a du mal à avaler. Ce n’est ni un caprice, ni un manque de volonté. C’est une réalité corporelle qui mérite d’être entendue.
Un mot d’espoir
Comme souvent avec les troubles invisibles, la dysphagie paradoxale peut isoler. Parce que cela paraît si étrange. Parce qu’on a parfois honte d’en parler. Mais sachez ceci : vous n’êtes ni seul(e), ni incompris(e). Il existe des professionnels bienveillants formés pour vous accompagner, et des solutions – parfois simples – qui changent profondément le quotidien.
Le corps, dont on attend tant sans jamais le remercier, a ses fragilités. Mais il a aussi une capacité incroyable de plasticité, de résilience, d’adaptation. Et vous, qui le portez, avez cette même force en vous.
Alors si un verre d’eau vous fait peur, prenez le temps. Respirez. Et sachez qu’un parcours d’accompagnement est possible, et qu’il est permis de demander de l’aide. Ici, vous êtes compris. Et certainement pas seul(e).
